Pendant quatre ans, Karina AMADORI a mis de
côté les chutes de fils de soie qui lui restaient de
son travail quotidien. Dans une logique de production
industrielle, ces petits restes seraient oubliés et
non exploités, mais ne pas s’en débarrasser est une
forme de résistance à la matière, et la résistance
fait autant partie intégrante du travail de Karina que
l’utilisation de la soie elle-même.
Le travail de l’artiste apporte une perception de la
matière et du geste, d’un temps marqué par la répétition
et le soin. Entre le gaspillage et l’utile, sa pratique
s’enracine dans l’idée de dévotion, d’utilisation
continue et d’intimité avec la matière. Sauvegarder,
préserver, recomposer sont les verbes qui traversent
la production de cet épiderme architectural.
Le travail, sans intention initiale, aboutit à une tannerie,
une transformation où l’organique et l’architectural
se confondent. C’est là que Karina trouve
une solution ancestrale : la douceur de la matière
sur la rigidité structurelle, une coexistence entre la
protection et l’exposition. Et ici, pourquoi ne pas
rappeler ce que l’anthropologue britannique Tom
Ingold soulignait, l’artisanat est un processus continu
d’implication dans la matérialité du monde, où la
matière n’est jamais passive, mais co-auteur de la
création. Ici, la matière devient palpable, le résultat
de la pratique et du temps.
La relation intime que Karina a établie avec la
matière au fil des ans se reflète dans l’expérience
du spectateur face à l’oeuvre. De prime abord, une
surface homogène, presque imperceptible, rappelle
la neutralité d’un mur blanc. Mais la véritable nature
de l’oeuvre ne se révèle que dans l’approche, dans
la coexistence attentive et patiente du regard. Cette
invitation à l’intimité rappelle l’idée de Didi-Huberman
(philosophe, historien de l’art vers qui l’on peut
toujours se référer) selon laquelle le détail est une
fissure invisible, un appel au spectateur pour qu’il
dépasse la première couche perceptible. Tout comme
l’artiste a eu besoin de temps pour comprendre
et transformer les chutes, le spectateur doit se
donner le temps de découvrir, de prêter attention à
la matérialité subtile qui se cache et se révèle dans
la proximité.
L’oeuvre ne se résout pas dans la finition parfaite,
mais dans l’étrangeté de l’inachevé, dans l’hésitation
entre le contrôle et l’incontrôlable de la nature.
Comme Lygia Clark l’a souligné dans ses recherches
sur le corps et la matière, il y a un moment où
l’objet devient une extension sensible du sujet, dissolvant
les frontières entre l’intérieur et l’extérieur.
Karina nous invite à cette proximité, où l’intimité
ne se révèle que dans un contact étroit. Il faut plus
qu’un regard pour s’intéresser à l’oeuvre, il faut un
corps, une permanence.
En complément, nous pouvons développer un autre
élément de perception de l’oeuvre : l’audace de
Karina dans le travail du blanc sur blanc, que l’on ne
voit souvent que dans les oeuvres minimalistes ou
conceptuelles, mais qu’elle fait vivre d’une manière
unique et en accord avec son parcours historique.
Son oeuvre est unique car, sur ce thème, on ne
comparerait pas Kazimir Malevich à son oeuvre
« Blanc sur Blanc », de 1918, qui explorait la pureté
des formes et des couleurs. Ou encore, comme
Lucio Fontana dans « Concetto Spaziale ». Karina
ne montre pas ses références au néo concrétisme
ou au suprématisme, mais elle flirte avec elles sans
le vouloir, montrant ainsi sa qualité plastique.
Cette oeuvre est une peau qui se moule au dévouement
du travail. Continu, au zèle qui transforme
les chutes en présence. L’invitation de l’artiste est
claire : rendre le spectateur intime avec l’oeuvre, le
rapprochant ainsi de l’intimité de l’artiste avec la
soie.
MINI BIO
Carolina LOCH est titulaire d’un diplôme en Communication
Sociale, d’une spécialisation en Communication et
Culture et d’un master en Langues et Technologies – Esthétiques
Contemporaines. Elle a coordonné la Biennale
Internationale d’Arts Contemporains de Curitiba pendant
huit ans, jusqu’à ce qu’elle prenne la direction du Musée
d’Art Contemporain du Paraná en 2022. En 2024, elle est
ensuite devenue directrice de la mise en oeuvre du Musée
International d’Art de Foz de Iguaçu en partenariat avec le
Centre Pompidou. Commissaire d’exposition et chercheuse
indépendante, elle donne des cours d’Art Contemporain,
d’Histoire de l’Art et d’Art et Technologie depuis 2018